.
.
.
.
.
.
.
 
.
.
.
 

Présentation générale des 34 volumes

par le Professeur Jeroom Vercruysse

   Le 27 juillet 1794 la victoire de Fleurus et l’avancée des troupes républicaines françaises dans les Pays-Bas autrichiens incitèrent le prince Charles Joseph de Ligne (1735—1814) à quitter son pays, son cher Belœil et à se fixer dans la capitale de l’Empire. À l’image de l’aigle bicéphale des Habsbourg, Vienne représentait l’autre résidence favorite du prince. Fidèle à la devise de ses ancêtres, à ses engagements militaires et politiques, il n’avait guère d’autre choix. Mais en quittant son pays d’origine il laissait derrière lui non seulement le souvenir d’une certaine douceur de vivre mais aussi la source la plus importante de ses revenus qui consistaient en revenus immobiliers.

   Le philosophe qu’il était se résigna sans chagrin à abandonner la vie de grand seigneur. Il disposait encore de ses émoluments et de quelques propriétés autrichiennes ; il vendit ses plus beaux tableaux et crut trouver de nouvelles ressources en publiant ses ouvrages demeurés inédits. Jusqu’à cette époque, le prince de Ligne avait publié quelques titres, à compte d’auteur et sous l’anonymat : ses Préjugés et Fantaisies militaires, des Mélanges de littérature et de philosophie, les Lettres à Eugénie sur les spectacles et  le Coup d’œil sur Belœil. Pendant des années il avait accumulé dans ses cahiers de nombreux essais aux sujets les plus divers : des souvenirs, des lettres, des relations de voyages et de campagnes militaires, des essais politiques et militaires, des réflexions dignes du meilleur moraliste. Il se décida  tout de suite à les publier désormais sous son nom et sous un titre général à l’énoncé novateur : Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires. Il s’adressa aux meilleurs imprimeurs et éditeurs de Dresde, les frères Walther, Salomon (1738-1805) et Georges (1740-1813), fils de Georges Conrad (1710-1788) qui avait imprimé correctement de nombreux ouvrages de Voltaire, qui soit dit en passant, était particulièrement exigeant en matière typographique.

    Nous ne disposons que de maigres éléments qui permettent de retracer l’histoire des Mélanges, les archives Walther ayant malheureusement été détruites. Une lettre du prince à son ami Casanova, datée du 17 décembre 1794 nous apprend qu’il a conclu un accord avec les éditeurs en leur vendant (selon l’usage du temps) ses manuscrits et ceux des écrits à venir ; les Walther s’engageaient à lui donner 200 exemplaires. Le prince de Ligne se mit à retravailler ses manuscrits, ajoutant ou retranchant, en reformulant  ci et là. Neuf volumes des Mélanges virent le jour dès l’année suivante, les tomes X-XVIII furent édités en 1796, les tomes XIX-XX en 1797. Puis il y eut un arrêt qui dura 4 années, explicable non point par l’absence de copie mais par les événements. L’Autriche entra en conflit avec la République française, subit quelques sérieuses défaites, les relations avec la Saxe et les Walther étaient rompues. Elles reprirent en 1801 : au cours de cette année les tomes XXI-XXIV virent le jour, les tomes XXV-XXVI l’année suivante. Puis l’on constate un net ralentissement : le tome XXVII paraît en 1804, le tome XXVIII en 1805, le tome XXIX en 1807, les tomes XXX-XXXI en 1808, le tome XXXII en 1809 sans doute avant le nouvel effondrement militaire de l’Autriche.  Le prince parvint néanmoins à fournir quelques textes au cours de l’année mais il fallut attendre l’année 1811 pour voir la parution des tomes XXXIII et XXXIV, les derniers des Mélanges.

     Trente-quatre volumes en l’espace de dix-sept ans : cet étalement ne favorisa guère le succès de cette entreprise. Tout incite à croire que les Walther s’ingénièrent à multiplier les tentatives de diffusion en renonçant d’abord aux souscriptions pour l’ensemble de la collection, en dotant les écrits militaires et historiques de nouvelles pages de titre : ce furent les Œuvres militaires (14 volumes tous datés de 1806) et le reste devint la série des Œuvres  mêlées dont les 20 volumes s’étalèrent de 1806 à 1811. Les Walther publièrent même simultanément les nouveaux ouvrages reçus soit sous le titre de Mélanges soit sous celui des Œuvres mêlées. Ajoutons encore qu’ils lancèrent également des volumes de ces collections pourvus cette fois de titres particuliers et qu’ils publièrent également en vente des traductions allemandes.  Bref, répétons-le, les Mélanges ne furent guère un succès commercial. C’est ce qui explique sans doute l’excessive rareté des collections complètes qui peuvent se compter sur les doigts d’une main : on en connaît deux ou trois dans des collections particulières, et une ou deux autres dans des bibliothèques publiques, sans plus. Les rares volumes mis en vente de nos jours atteignent des prix fort élevés. Les intéressés, les bibliothèques essaient de compléter leurs collections tant bien que mal à  l’aide de divers supports.

    Une autre raison encore peut être fournie par la variété des sujets abordés : combien de lecteurs contemporains s’intéressaient à la fois à l’histoire, aux théories militaires, à l’écologie, à la morale, à la religion, aux romans et contes, au théâtre, aux lettres et aux souvenirs d’un seul et même auteur ? Les volumes qui accumulaient des vers de circonstance  pouvaient-ils passionner le public ? Ce mélange peu commun a incité plus d’un « critique » à parler de  chaos, voire de  fatras. Ce propos révèle un manque d’envergure ou une vision trop rapide de la chose. Car c’est précisément cette extraordinaire diversité qui constitue sinon la richesse du moins l’attrait de Ligne écrivain, abordant tous les aspects de la société qui l’entourait, de celles des nombreux pays visités et surtout ceux d’une personnalité étonnante, sinon hors du commun.

    L’effacement, voire l’ignorance des 34 volumes des Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires a malheureusement contribué à la création et à la perpétuation d’une image incomplète et gravement faussée. Le prince de Ligne a souffert de ce que l’on pourrait appeler la maladie de l’anthologisme : la première anthologie, due à Madame de Staël (1809), ne livrait à peine que 3 ou 4 % de ce qui avait été publié. Cette anthologie dépourvue de références bibliographiques contribua certes grandement à la révélation de Ligne écrivain auprès d’un public peu exigeant, mais elle engendra une nombreuse descendance qui vit les mêmes choix répétés à l’envi, changeant de titres à volonté, sans parler de nouveaux choix 26 juillet, 2010s choix antérieurs et des innombrables manipulations de l’orthographe et surtout de la ponctuation, responsables de contresens et bizarreries sans nombre. Certes quelques titres  « complets » ont vu le jour mais ce sont presque toujours les mêmes, fondés eux-mêmes sur des éditions dépourvues le plus souvent de la rigueur la plus élémentaire, jamais confrontés avec les originaux comme l’exige un travail quelque peu sérieux. Un lecteur soucieux de fiabilité ne peut accepter une telle situation. Il lui est cependant loisible de constater que les ouvrages majeurs du prince de Ligne font l’objet depuis 2000 d’éditions critiques donnant des textes fiables pourvus d’un apparat critique remarquable. Le Groupe d’études lignistes (http://www.princecharlesjosephdeligne.be/) est reconnaissant aux éditions Honoré Champion de  les présenter au public.

    Le but essentiel du Groupe consiste à faire connaître la personne et l’œuvre écrite du prince de Ligne. La présente entreprise, due aux soins de Pierre Mouriau de Meulenacker et de Jeroom Vercruysse, répond donc à ce vœu en mettant gratuitement à la disposition de tous les intéressés la totalité des  34 volumes des Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires. Les textes ont été numérisés, ce qui permet d’éviter les transcriptions et par conséquent les risques fréquents d’erreurs qui en résultent. Le tout est désormais accessible grâce à un système de navigation rapide et aisée (que faire sinon si ce n’est de parcourir le tout, et à condition de l’avoir sous la main ?), puisque chaque volume est pourvu d’une table détaillée des matières. Le Groupe d’études lignistes  espère réaliser ainsi l’un de ses vœux les plus chers.

 
Plan du site
 
Updated : 26 juillet, 2010
All rights reserved ALITER.BE ©